05 juin 2007


La valise ou le cercueil
(bulletin janvier 2007-Edito)
KAZIM KUSTUL, 22ans, sans papiers, suicide par pendaison au centre de rétention du Canet à Marseille...

En voyant la mobilisation ( et ses conséquences médiatiques et politiques) des Enfants de Don Quichotte en faveur des mal (ou pas) logés, on se prend à rêver…
Et si, en 2007, les RESF déclenchaient eux aussi une véritable prise de conscience ? Et s’ils obtenaient ainsi la régularisation de ces quelques 20000 sans papiers, demandeurs d’asile, qui vivent eux aussi dans la plus extrême précarité ?
Protégés jusqu’à la réponse à leur demande, ils sont, si elle est négative, ( et c’est le cas pour 90% d’entre eux), brutalement jetés dans la clandestinité, menacés au pire d’une expulsion dramatique, au mieux, d’une vie de paria, dans la quête perpétuelle d’un peu d’argent pour survivre et se loger, dans l’angoisse d’une arrestation, d’un accident de travail, d’une maladie…
Qu’on ne nous parle pas du chômage ou d’une quelconque préférence nationale. Le travail qu’ils trouvent s’apparente plutôt à l’esclavage : ce sont des boulots au noir, traditionnellement réservés à cette main d’œuvre bien pratique (travaux les plus durs dans le bâtiment, nettoyage de produits toxiques dans les grands sites industriels…) Quant au logement, il faut avoir recours aux marchands de sommeil.

Tout ça, vous le savez tous, bien sûr. Mais ça reste toujours un peu théorique jusqu’à ce qu’on se trouve vraiment confronté aux personnes. A Martigues, maintenant, nous les connaissons, et nous les apprécions. Les militants des associations, mais aussi bien des particuliers ont noué avec eux, depuis les parrainages de juillet, de véritables liens d’amitié. C’est pourquoi nous essayons si fort de maintenir la mobilisation pour obtenir un statut à ces familles qui souffrent – et dont les enfants souffrent de n’avoir pas de place dans notre société, de ne pouvoir ni se situer ni faire de projets.
Les lettres et les dossiers s’empilent au Ministère de l’intérieur et à la Préfecture. Vous vous souvenez des recours dont on nous avait promis qu’ils seraient tous examinés à la suite de la catastrophique « loterie » organisée par Sarkozy cet été ? Pas une réponse n’est parvenue aux familles. C’est clair :elles n’existent pas.
De temps en temps, on en expulse une, méchamment, violemment, histoire de maintenir un climat de terreur. Le réseau se mobilise, remporte de petites victoires provisoires, c’est toujours ça, fait reculer la date fatidique, attire l’attention des médias…

De temps en temps, il y a un couac ; juste avant Noël, un jeune turc de 22 ans s’est pendu, au centre de rétention du Canet, à Marseille, où on venait de l’amener en attente de son expulsion.
Le gouvernement, la télé, sont d’une étonnante duplicité : ils dégoulinent de bons sentiments et de nobles paroles pour aider des enfants victimes de maladies rares ou de catastrophes naturelles, mais lorsqu’il s’agit d’enfermer d’autres enfants dans de véritables prisons, ou de les renvoyer dans un pays où leurs parents sont menacés, où leurs maladies ne sont pas soignées, où règnent la violence et la misère, alors toute compassion s’évanouit. A croire qu’il y a enfants et enfants.
En ce début d’année, nous pensons à toi, Kazim KUSTUL, venu mourir à 22 ans si loin de ton pays. Nous pensons à ce qu’il t’a fallu de courage pour arriver jusque chez nous, à tes espoirs, et puis à tes galères, à ton découragement, à ton désespoir de te voir revenu à la case départ.
Nous pensons à tous ceux qui, parce qu’ils ne pouvaient faire autrement, ont quitté un pays qu’ils aimaient et des êtres chers pour chercher refuge chez nous, et à l’accueil que leur réservent les lois de ce pays.

Que notre indignation nous donne la force de continuer à nous battre.